Actuellement, il existe un débat européen sur l’indépendance des conseillers en investissements financiers (CIF), et en particulier sur la transparence de leur rémunération (honoraires du CIF). En début d’année, j’ai rédigé un article sur la confusion entre les termes indépendance, honoraire, commission et rétrocession. Je souhaite déveloper ici l’idée d’une conciliation entre la ligne pro-Royaume-Uni (pour la notion de conseil indépendant interdisant les rétrocessions de commissions) et la ligne pro-France (pour la transparence des rémunérations).
Rappel du débat
Aujourd’hui, un conseiller patrimonial non salarié (ou CGP : conseiller en gestion de patrimoine) peut être rémunéré de différentes manières : des honoraires pour le conseil, des commissions ou des rétrocessions pour les activités d’intermédiation (courtage en assurance, courtage en crédit, courtage en produit financier ou intermédiaire dans les transactions immobilières).
Les Français refusant pour la majorité d’entre eux de payer des honoraires pour un conseil (honoraires du CIF), la rémunération d’un grand nombre de conseillers patrimoniaux non salariés est constituée pour une bonne partie de rétrocessions de commissions. L’autre partie résulte souvent des honoraires de transactions immobilières ou rétrocessions d’honoraires.
Le débat européen porte alors sur la question de savoir si un conseiller rémunéré par des rétrocessions peut se déclarer indépendant.
L’indépendance en France
En France, il est possible de distinguer trois catégories de travailleurs : les salariés, les fonctionnaires et les non salariés souvent qualifiés d’indépendants.
Parmi les professions indépendantes, nous distinguons les professions du conseil, qualifiées de professions libérales (voir la définition légale récente), celles de l’artisanat, celles des commerçants, celles de l’industrie et celles des exploitants agricoles. Les CIF exercent une profession libérale. Les courtiers exercent une activité commerciale selon le Code du commerce alors que les agents généraux d’assurance (exerçant le même métier mais avec une seule compagnie qui rémunère par des commissions) sont considérés comme exerçant une profession libérale. Or, au vu de la réglementation actuelle sur le devoir de conseil et son formalisme, le métier de courtier « peut » être considéré comme une activité de conseil répondant à la définition légale de « profession libérale ».
Il est à noter ici qu’en France, il existe un corps de professions indépendantes à l’intérieur duquel il est pratiqué une séparation par métier. Ainsi un conseiller ou un courtier est forcément indépendant. Or, le débat initial portait sur l’introduction de la notion de conseil « indépendant » pour les investissements financiers. Ainsi, il n’y avait pas vraiment lieu de débattre pour le cas français.
Pourtant, le projet de directive a mis sur la table la question de la rémunération des conseillers indépendants :
Conseil indépendant : le projet de directive proposé par la Commission prévoit (article 24.5) :
« Lorsque l’entreprise d’investissement informe le client que les conseils en investissement sont fournis de manière indépendante, elle : i) évalue un nombre suffisamment important d’instruments financiers disponibles sur le marché. Les instruments financiers doivent être diversifiés quant à leur type et à leurs émetteurs, ou à leurs fournisseurs, et ne doivent pas se limiter aux instruments financiers émis ou fournis par des entités ayant des liens étroits avec l’entreprise d’investissement, ii) n’accepte pas ni ne perçoit de droits, commissions ou autres avantages pécuniaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers ».
Cette définition fait penser à une catégorie de conseiller financier comme il en existe pour les intermédiaires en assurances et les intermédiaires en crédits.
Le mécanisme de la rétrocession et les honoraires du CIF
Lorsqu’un conseiller patrimonial préconise une allocation d’instruments financiers, il agit dans le cadre d’une activité de CIF, laquelle peut être rémunérée par des honoraires ou pas. Le conseiller peut ensuite prescrire un contrat ou plusieurs afin de mettre en œuvre le conseil accepté par le client.
Le client choisit alors de souscrire ou non à la solution proposée. Si ce dernier souscrit, le conseiller agit dans le cadre d’une activité d’intermédiaire et percevra des rétrocessions de commissions, c’est-à-dire une fraction des frais prélevés par le fournisseur par l’application d’un taux sur l’encours.
Dans le camps des pro-Royaume-Uni, la principale critique à ce système est de croire qu’il y aurait un conflit d’intérêt pour le conseiller intermédiaire dans le sens où son seul but serait de vendre en fonction de la rémunération proposée par les fournisseurs. Or, dans le cadre actuel de la réglementation et de l’obligation de conseil formalisé, le conseiller n’a pas intérêt de proposer un instrument financier qui ne serait pas conforme à l’intérêt du client.
Quoiqu’il en soit, une réponse logique à ce « conflit » est la transparence sur les commissions perçues, pour le camps des pro-France. Cependant si le but est de protéger les consommateurs, il conviendrait de l’imposer à toutes les personnes intervenant dans la distribution d’un instrument financier, qui forcément ne sont pas épargnés par ce « conflit » d’intérêt.
Une autre réponse similaire, qui pourrait concilier les deux bords, serait pour les conseillers courtiers, et autres distributeurs, de donner à leurs fournisseurs un mandat de facturation de leurs honoraires, avec application d’un taux sur l’encours du client. Ainsi, le client pourra n’avoir qu’un seul prélèvement, tout en sachant qu’une partie reviendra au fournisseur et une autre au distributeur (conseiller courtier, agence bancaire, agence d’assurance, …). Ce n’est pas très différent du mécanisme de rétrocession et pourtant les notions de conseil indépendant et de transparence des commissions semblent respectées.
Faut-il aussi insister sur le fait que les rétrocessions actuelles ne rémunèrent pas toujours l’activité de conseil en investissements financiers mais le plus souvent seulement l’activité d’intermédiaire ? Il n’existe aucune obligation pour un courtier d’être CIF, et inversement. Ainsi, les enjeux de protection du consommateur au travers de cette notion de « conseil indépendant » ne concernent pas véritablement la France puisque si un investisseur français veut obtenir un conseil indépendant, il peut mandater un CIF au travers d’une lettre de mission, en dehors de toute intermédiation (conformément à la définition proposée par la Commission). Le consommateur français est déjà protégé. Mais est-il raisonnable de penser qu’un investisseur souhaite obtenir un conseil sans pouvoir le mettre en œuvre avec l’accompagnement de son conseiller ?
Autre question, est-il nécessaire de rappeler que l’objectif principal d’un conseiller patrimonial est d’accompagner son client afin qu’il réalise son objectif, c’est-à-dire développer son patrimoine. L’intérêt du client est l’intérêt du conseiller. En cela, il est véritablement indépendant.
Pour conclure, le débat européen semble encore loin de la question d’un titre réglementé de « conseiller patrimonial » ou « conseiller en gestion de patrimoine » ou « planificateur financier » qui intégrerait l’activité de conseil en investissement à titre principal et les activités d’intermédiaire à titre accessoire (assurance, épargne, immobilier, crédit).
Commentaires
À la lecture de nombreux articles , même dans la presse spécialisée, je suis au regret de constater un certain flou dans l’emploi des termes suivants : honoraires (professional fees), commissions et rétrocessions.
Les honoraires sont traditionnellement entendus comme la rémunération due aux personnes exerçant une profession libérale en échange de leurs services (conseil, technique, santé). Mais le terme est aussi employé pour des activités d’intermédiation comme l’agent immobilier. Ces honoraires peuvent être calculés de différentes manières :
- un forfait pour une prestation déterminée
- un forfait mensuel, trimestriel, semestriel ou annuel, pour des prestations régulières prédéfinies dans une convention préalable
- un tarif horaire pour le temps passé sur un dossier
- une commission sur la valeur déterminée d’un projet (ex : l’architecte et la construction immobilière, le notaire (ou l’agent immobilier) et la transaction immobilière, l’huissier et le recouvrement d’impayé, le conseiller patrimonial et le portefeuille sous gestion conseillée, …)
Les commissions sont traditionnellement entendues comme un pourcentage ou droit proportionnel que reçoit un professionnel pour une opération. Ce terme de commission est souvent également utilisé comme mode de rémunération pour des activités d’entremise, qualifiées classiquement de commerciales pour ceux qui en font leur activité principale (et non accessoirement à une activité libérale : voir avocat, notaire, géomètre, conseiller patrimonial et agent d’assurance). C’est ici qu’une confusion existe entre honoraire et commission. La distinction est fragile, voire inexistante. Pourtant, en revenant sur le sujet de l’article, beaucoup d’auteurs continuent d’expliquer que les professionnels libéraux du conseil financier (ou conseil patrimonial) ne pourront plus recevoir de commissions mais devront facturer des honoraires. C’est un non sens. Ils pourront facturer des honoraires-commissions.
Pour mieux comprendre, il convient de parler des rétrocessions. Dans les activités d’entremise, généralement, un intermédiaire met en relation un client et un fournisseur. Parmi les modes de rémunération possibles, le fournisseur peut facturer des commissions au client et rétrocéder une partie à l’intermédiaire. Il s’agit ici de rétro-commissions, celles qui seront interdites a priori aux professionnels libéraux. La raison de cette interdiction est simple, ceux qui se prévalent d’un conseil indépendant ne devraient pas recevoir une rémunération dépendant d’une tierce partie ou d’une personne agissant au nom d’une tierce partie (le fournisseur), remettant ainsi en cause l’indépendance et l’objectivité du conseil.
En revanche, le projet européen n’interdit pas au conseiller indépendant lors d’une opération d’intermédiation de convenir avec le client d’honoraires-commissions, qui seront prélevés par le distributeur et transférés directement au conseiller. La différence est que la rémunération du conseiller est transparente et décidée entre le professionnel libéral et le client. Il ne s’agit plus d’une rétrocession.